Pourquoi la consigne c’est le futur de la bière artisanale (et pourquoi c’est compliqué)

On est fier d'annoncer le lancement d'un projet pilote de réemploi de nos bouteilles en verre! Un projet au long cours qui s'inscrit dans notre mission pour valoriser des modes d'approvisionnement, de production et de consommation responsables et durables.

Les objectifs ?

  • Sensibiliser nos clients et partenaires sur l’impact environnemental de nos bouteilles
  • Optimiser le « taux de retour » des bouteilles, l’indicateur clé pour déterminer la viabilité et l’efficacité des systèmes de réemploi de bouteilles.

Les partenaires ?

  • Une dizaine de professionnels clients qui ont accepté de participer à cette première phase de test : merci à eux ! 
  • Uzaje, société spécialisée dans le lavage pour réemploi de contenants alimentaires
  • L’Union Européenne via le programme C-Voucher qui soutient notre projet

La réduction de notre empreinte environnementale fait partie des piliers de notre mission. Nous voulons favoriser le développement de filières locales et minimiser notre empreinte de production et de distribution. Depuis le début de la brasserie, nous avons privilégié le local, pour les approvisionnements et la distribution. Nous utilisons 100% de malts français bio. 93% de nos livraisons de bières ont été faites à moins de 30 kms de notre brasserie l’an dernier. Nous avons privilégié le réemploi de fûts, en achetant près de 2000 fûts au fil des ans. Aujourd’hui 98% de nos bières pression sont conditionnées dans des fûts en inox réutilisables. Nous voulons maintenant nous attaquer à l’empreinte de nos bouteilles. En 2020, elles ont représenté environ 140 tonnes de verre perdu. Même si la France bénéficie d’un bon taux de recyclage du verre, le fait de réutiliser des bouteilles permettrait de réduire significativement notre empreinte carbone. Pour que bière artisanale soit pleinement synonyme de bière locale, on croit dur comme verre à la réutilisation de bouteilles. 

On essaie de vous dire ici pourquoi réinstaurer la consigne, c’est compliqué, comment va marcher notre expérimentation, et à quoi ca va servir !

Ramene ta bouteille, ensemble réduisons notre impact carbone, projet de consigne Deck & Donohue

 

Pourquoi c’est compliqué

En France, la consigne a progressivement disparu mais elle continue d’être la norme chez certains voisins comme l’Allemagne ou la Belgique. Réintroduire la consigne aujourd’hui est très compliqué :

  • Pour que la consigne soit pleinement opérante il faut idéalement un emballage unique pour chaque famille de produit : s’il y a un seul modèle de bouteille de bière, il devient possible de laver la bouteille d’une marque pour la remplir avec la bière d’une autre brasserie ; cela réduit la complexité logistique (le tri entre les différentes bouteilles, la multiplicité des boucles logistiques à mettre en place). Premier problème : le « syndrome du parfumeur », la tentation de différencier un produit grâce à une forme unique de flacon ou bouteille. Deuxième problème : même une fois que tous les acteurs sont convaincus de la nécessité de standardiser les formats de bouteilles, la discussion pour savoir quel format va être choisi devient l’objet de débats et négociations épineuses ! car changer de format de bouteille, cela peut avoir des répercussions très importantes en terme de coût : nécessiter de changer de formats de moules pour les lignes d’embouteillage, changements d’étiquettes, de formats de cartons etc. Pour une brasserie de taille modeste comme la nôtre, un changement de format de bouteille coûte de 15 à 20 000€ ! Nous avons rejoint un groupe de travail mené par Citeo et l’Ademe pour participer à la définition d’un contenant unique pour la bière : à suivre !
  • Pour pouvoir être réutilisées de nombreuses fois, les bouteilles consignées sont plus épaisses, plus lourdes et plus chères ; cela permet de les protéger contre les chocs. Mais ce coût supplémentaire ne peut être amorti que si la bouteille est effectivement rapportée pour être réutilisée. C’est le fameux « taux de retour », l’indicateur fondamental de l’efficacité d’un système de consigne (nombre de bouteilles rapportées divisé par nombre de bouteilles vendues initialement). Si la bouteille est consignée mais que peu de gens la rapportent, il n’y a pas d’intérêt écologique à l’utilisation d’une bouteille plus lourde.
  • Le taux de retour va dépendre de la facilité à rapporter des bouteilles pour les consommateurs. Cela passe par la disponibilité de nombreux points de collecte. S’il y avait un maillage territorial complet, rapporter des bouteilles serait un jeu d’enfant. Mais recréer ce maillage est très difficile. D’une part les premiers points de collecte ne vont pouvoir reprendre que quelques bouteilles de marques participantes, vont devoir bloquer un espace pour ça mais avec une rotation faible. Et cet espace coûte cher, particulièrement en milieu urbain. D’autre part les consommateurs ne vont pas parcourir des distances importantes pour rapporter des bouteilles vides. Là aussi particulièrement en milieu urbain, où les habitats sont de taille plus réduite et où on ne va pas stocker longtemps des bouteilles vides.

Tout cela plaide pour reconnaître qu’un système de consigne efficace nécessite un engagement politique et civique fort, et qu’une initiative isolée ne pourra pas avoir une efficacité complète. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut rester sans rien faire ! Nous sommes persuadés que tous les acteurs doivent s’engager sur ces thématiques, indépendamment de leur taille et de leurs moyens.

Notre premier pas : un projet pilote de réemploi auprès d’une dizaine de clients professionnels.

Les partenaires du projet :

Comment ça marche

  • Nous fournissons des caisses plastiques aux clients partenaires.
  • Ils remplissent ces caisses avec les bouteilles vides rapportées par leurs clients ou consommées sur place par leurs clients.
  • Nous récupérons les bouteilles et les apportons au centre de lavage Uzaje situé à Neuilly sur Marne.
  • Uzaje lave les bouteilles et nous les renvoie.
  • Nous embouteillons nos bières fraîchement brassées dans des bouteilles réutilisées. 

 

Quelques précisions :

  • Nous utilisons nos bouteilles de bières 33cl habituelles, nous n’avons pas changé de format. Le changement de format coûte plus de 15 000€ d’ajustement sur nos machines. Nous n’étions pas en mesure de faire cet investissement pour un projet test.
  • Une bouteille consignée lourde peut être lavée jusqu’à 70 fois. Une bouteille classique peut être lavée jusqu’à 7 fois : c’est déjà beaucoup !! En effet, même si 50% des gens rapportent leurs bouteilles pour réemploi, moins de 1% des bouteilles iront jusqu’à 7 lavages (car 0.5^7 est inférieur à 1, pour quelques souvenirs mathématiques)
  • Notre partenaire Uzaje nous donne les mêmes garanties sur les bouteilles réutilisées que pour une bouteille neuve : ils identifient dans leur processus les bouteilles qui ont été fragilisées, pour que nous ne réutilisions que les bouteilles intactes
  • Notre test de consigne est fait sans contrepartie financière : vous n’obtenez pas de réduction ou de remboursement en rapportant vos bouteilles ; sachez que pour la brasserie, les bouteilles réutilisées vont nous coûter plus cher que d’acheter des bouteilles neuves (à cause du coût du lavage à petite échelle, et du coût de la logistique) : on n’essaie pas de profiter du réemploi pour réduire nos coûts, on essaie de favoriser une action collective porteuse de sens pour nous tous !

A quoi ça sert

Notre test à petite échelle ne va pas changer la face du monde ou réduire drastiquement l’impact environnemental de notre brasserie. C’est une première étape qui doit servir à :

  • Sensibiliser à la nécessité du réemploi : en France le taux de recyclage du verre est élevé (près de 80%) et les consommateurs peuvent penser avoir fait leur part du travail en rapportant les bouteilles à la benne à verre, mais le recyclage de ces bouteilles est très consommateur d’énergie, et donc d’empreinte carbone !
  • Tester toutes les possibilités d’optimiser le taux de retour, via de la pédagogie sur les points de collecte : affichage, mise en avant des caisses pour réutilisation, etc. C’est cet indicateur clé du taux de retour qui va dicter sous quelles conditions un système de consigne à plus grande échelle peut être efficace écologiquement et économiquement. La solution passera par une réponse collective et ce test est notre petite pierre à l’édifice.
 

Vous l’aurez remarqué: pas de chiffres tape-à-l’oeil sur les bénéfices de la consigne dans cet article: le sujet est compliqué et ne s’accommode pas des raccourcis! Si vous avez plus de temps devant vous, ce rapport de l’ADEME vous donnera du grain à moudre (ou à brasser).

Nous pourrons d’ici quelques mois dresser un premier bilan de ce taux de retour pour contribuer le plus pertinemment possible, avec les initiatives de plus en plus nombreuses en cours, à un retour durable de la consigne en France. On compte sur vous !

Thomas Deck
Publié le